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IA, droit et éthique : Lyse Langlois nous livre ses impressions
Le 3 décembre dernier marquait le lancement de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique. L’Observatoire regroupera près d’une vingtaine d’établissements universitaires et collégiaux ainsi que près de 90 centres de recherche. Cette initiative sera structurée par des mandats de recherche, de veille, de formation, de consultations publiques et de recommandations concernant les lois et les politiques publiques qui visent à réglementer les développements de l’intelligence artificielle. Celui-ci sera dirigé par Lyse Langlois, professeure-chercheuse en relations industrielles à l’Université Laval et directrice de l’Institut d’éthique appliquée. Selon Mme Langlois, l’objectif derrière ceci est de « contribuer à façonner une société capable de maximiser les impacts positifs et de minimiser les effets négatifs des technologies de l’information sur les personnes, les organisations et les collectivités. »

Dans une réflexion approfondie concernant le développement responsable de l’intelligence artificielle, Mme Langlois définit celle-ci comme étant « la transcription d’un langage mathématique en écriture obéissant à un programme et visant à simuler une certaine catégorie d’intelligence ». En ce qui a trait la réglementation de cette technologie, l’experte affirme que l’éthique détient un rôle tout aussi important que le droit lorsque vient le temps de réguler l’IA. C’est d’ailleurs par le questionnement éthique que la communauté internationale a été interpellée au sujet de celle-ci. L’éthique est donc perçue comme étant une discipline, mais également comme une réflexion critique qui participe, en amont, à la création de sens, tout en faisant la promotion d’une responsabilité sociale par le biais de la délibération. Cette dernière caractéristique, déclare l’experte, s’intègre très bien à la responsabilité procédurale qu’apporte le droit et demeure nécessaire à ce processus de régulation.
Étant donné que de nouveaux facteurs sociaux, normes et valeurs font leur apparition dans la société actuelle et rendent alors la réglementation plus complexe, ils apparaissent souvent hors du champ traditionnel du droit. L’éthique peut alors apporter une certaine flexibilité qui est plus adaptée au contexte. À titre d’exemple de ces deux modes régulatoires, l’experte mentionne le souci de conformité pour non-respect des réglementations de certaines grandes entreprises internationales, citons par exemple Uber, Airbnb et Facebook, et qui entraîne par le fait même un risque de protection des données. Ces données provoquent alors des questionnements éthiques quant à leur utilisation par les entreprises : une exploitation à des fins commerciales, un certain contrôle, l’obtention d’un pouvoir sur autrui, une plus grande protection des données, etc. Voilà un exemple de la nécessité d’intégrer la réflexion éthique en complémentarité avec le droit, ce qui permettra de mieux appréhender la complexité des développements en IA.
Donc, pour faire suite à ces enjeux éthiques, la question se pose : quelle est la place de l’humain dans une société de plus en plus automatisée? Mme Langlois déclare que dans une vision futuriste d’un univers dominé par la technologie, nous avons tendance à oublier ce qu’est un être humain et les capacités qui lui sont propres : capacité à s’émouvoir, à s’émerveiller, à aimer, à donner, à pardonner, à discerner. Malheureusement, ces caractéristiques sont mises à l’arrière-plan. Il est clair que l’humain aura de nombreux défis à affronter face aux développements de l’IA, mais il faudra « apprendre à désapprendre », c’est-à-dire de ne pas perdre notre faculté de jugement qui nous distingue de l’IA. L’experte déclare : « Il m’apparaît prématuré et fantasmagorique de penser que l’humain sera remplacé par la machine, car pour moi l’humain sera toujours l’humain. Notre défi sera de maintenir et de mettre de l’avant ces facultés qui nous rendent uniques. » De plus, Mme Langlois croit qu’une IA parfaite en serait une au service de l’humanité, pouvant contribuer à réduire les injustices et à favoriser l’inclusion. Surtout, l’être humain doit rester une priorité et demeurer au centre des décisions.
En ce qui concerne la mondialisation, selon Mme Langlois, l’IA amènera une polarisation sociale accrue, d’où la nécessité d’inventer de nouveaux modes d’action collective dans cette nouvelle économie. Ensuite, un risque d’opacité à l’égard de stratégies digitales en entreprises ainsi qu’un risque de domination de certaines plateformes numériques. Finalement, l’externalisation des services sans protection ou encore de contrat de travail. Pour ce qui est des impacts sur le marché de l’emploi au Canada, l’experte mentionne que nous assistons présentement à une nouvelle économie appelée « économie digitale ». Cette forme d’économie propose un nouveau modèle d’affaires qui entraînera, entre autres, la destruction, la création, la transformation et le déplacement de certains emplois. Par contre, la plupart des études américaines s’entendent pour dire qu’il y aura davantage de perte d’emplois, soit environ de 40 à 50% dans les années à venir. Actuellement, il est impossible de prévoir exactement quels seront les nouveaux métiers du futur. Il est toutefois possible d’affirmer qu’il y aura fort probablement une perte d’expertise ainsi qu’un grand besoin de formation.
Biographie
Lyse Langlois est professeure titulaire au département des relations industrielles et chercheure au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation du travail. Elle a été professeure ou chercheure invitée à l’Université de Bourgogne, Louvain-la-Neuve et à l’Université Paris Dauphine en tant que chercheure associée à la Chaire Éthique et gouvernement d’entreprise. Elle est présentement directrice de l’Institut d’éthique appliquée et a dirigé pendant plusieurs années, l’axe Éthique publique, organisationnelle et professionnelle au sein de cet Institut (IDÉA). Elle est aussi vice-doyenne à la recherche à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Ses intérêts de recherche se situent en éthique organisationnelle et en éthique professionnelle. Un certain nombre de ses travaux et de ses publications ont porté sur le leadership éthique, la prise de décision éthique et les dispositifs éthiques en milieu de travail. Ses recherches actuelles se concentrent sur la conscience éthique et le jugement professionnel.